Cette réflexion est empruntée à l’association Tous Créoles qui en a formulé les principes en 2016. Nous pensons qu’elle est une réponse particulièrement appropriée aux graves dérives sociétales qui touchent aujourd’hui les Antilles françaises.
En 1997, le président de la République Jacques Chirac met un terme au service national obligatoire. Dans la foulée, la plupart des lycées des Antilles-Guyane ferment leurs internats, privant nos jeunes d’une salutaire expérience de vie commune.
Depuis 25 ans, nos territoires ne disposent plus des instruments de brassage qui, jusque-là, fédéraient les individus par-delà leurs différences socio-ethniques. Depuis 25 ans les clivages identitaires se renforcent, nourris par une longue crise économique qui plonge notre population dans un état de « désenchantement » inquiétant.
Les conséquences sociales sont visibles à l’œil nu, au détour de chaque quartier, à l’ombre de chaque abribus, ou encore dans les tristes rubriques de l’actualité locale : pauvreté, alcoolisme, drogue, violence, incivilité… les maux de la société des territoires d’Outre-mer enflent chaque jour un peu plus et menacent aujourd’hui l’équilibre de notre démocratie républicaine.
Individualisme, fractionnement social, communautarisme, perte des valeurs communes, absence de repère, disparition du sens civique, contestation systématique des autorités… le diagnostic est sans appel ! Il exige un traitement radical :
La mise en place du dispositif « Les Trois Mois Solidaires »
Nous proposons de créer ce dispositif en Martinique dans un premier temps, puis de l’étendre le cas échéant sur les autres territoires ultra-marins. Il pourrait être mis en œuvre par le RSMA sous tutelle du ministère des Outre-mer et sous l’autorité déléguée du ministère des armées. Cette mission confiée au RSMA suppose de renforcer les moyens affectés à cette institution, en remplacement notamment du dispositif peu efficace de la Garantie Jeunes.
L’objectif des « Trois Mois Solidaires » est de donner à toute une classe d’âge de jeunes martiniquais l’opportunité de vivre ensemble et de partager des expériences communes au service de l’intérêt général, ceci pendant une période obligatoire de trois mois minimums.
Une classe d’âge regroupe toutes celles et tous ceux qui sont nés dans la même année. Il ne faut pas confondre cette définition avec la tranche d’âge dans laquelle les TMS seraient effectués. À titre d’exemple, tous ceux qui sont nés en Martinique en 2006 (la classe d’âge 2006) et qui y résident, représentent un effectif annuel d’environ 5.300 jeunes, soit environ 1.300 jeunes par session trimestrielle.
L’objectif des TMS est d’amener tous les jeunes martiniquais de moins de 25 ans (hors dérogations particulières ou inaptitudes indiscutables) à faire l’expérience du vivre-ensemble, de la citoyenneté et de l’intérêt général.
Description sommaire des Trois Mois Solidaires
Les Trois Mois Solidaires (TMS) ont pour ambition d’offrir aux jeunes l’opportunité de se former, de s’engager, de donner de leur temps à la collectivité et aux autres entre l’âge de 16 ans et l’âge de 25 ans.
Les TMS représenteraient la possibilité de vivre une expérience formatrice et valorisante en proposant un choix parmi une dizaine de formations-socle (les « briques d’apprentissage ») et de nombreuses missions, dans des domaines très divers au sein des associations et organismes locaux.
Les TMS seraient un engagement obligatoire de trois mois continus au service de l’intérêt général. Pendant cette période, les jeunes seraient indemnisés sur la base des rétributions actuelles du RSMA. Ils seraient nourris, logés en internat, vêtus, formés et encadrés. Ils disposeraient d’un uniforme permettant de gommer les éventuelles distinctions sociales. Bien entendu, les jeunes bénéficiaires du RSA, ou titulaires d’une bourse de l’enseignement supérieur, conserveraient tous leurs avantages pendant la durée des TMS.
Ces trois mois se dérouleraient sous le régime d’un internat encadré par des règles d’inspiration militaire : règlement et code de vie stricts, respect des horaires et des rituels communs, etc.
Le premier mois serait consacré à l’acquisition de compétences techniques et sociales. Les deux mois suivants seraient dédiés à l’engagement concret dans des missions d’intérêt général ; ils pourraient être effectués auprès d’associations, de collectivités territoriales ou d’établissements publics (musées, collèges, lycées…). Au terme de ces trois mois, le « Jeune Solidaire » obtiendrait un diplôme gradué de 1 à 3 selon son niveau d’excellence, qu’il pourrait revendiquer dans son CV.
Les principes généraux de ce dispositif en seraient l’obligation et l’internat permettant d’atteindre l’objectif de brassage des populations ; ils seraient assortis d’exceptions à définir : inaptitudes, enfants à charges, risque de perdre son emploi, par ex.
Mois 1 : créer un groupe cohérent et soudé + acquérir des compétences
La vie en internat serait organisée autour de 3 temps : pratiques sportives, apprentissages, tâches communes (entretien des locaux, des jardins, etc.)
L’objectif central est de permettre aux jeunes d’acquérir les comportements de vie en communauté : écoute, partage, solidarité, respect.
Les apprentissages concerneraient essentiellement des apports pratiques qui peuvent « faire tremplin » ; ainsi par exemple, le jeune aurait le choix entre plusieurs « briques d’apprentissage » avec obligation d’en prendre 2 au minimum : la conduite automobile, les gestes de premiers secours, les bases de l’Internet, les bases de l’anglais, les bases de l’enseignement civique et moral, etc.
L’acquisition des compétences se ferait par le biais d’encadrants professionnels, aidés chaque fois que cela sera possible, par des « Jeunes Solidaires Qualifiés » disposant de la compétence requise, jouant ainsi le rôle de tuteurs.
Mois 2 et 3 : mettre ces compétences au service de la communauté
Pendant les deux derniers mois, les « Jeunes Solidaires » mettraient leurs compétences au service de la communauté martiniquaise à travers les milieux associatifs de l’île (clubs sportifs, associations humanitaires, culturelles, environnementales…), les collectivités territoriales ou certains établissements publics.
Ils deviendraient une ressource offerte à ces organisations pour leur permettre de réaliser leurs projets : nettoyages des sites remarquables, encadrements des courses sur route, nettoyage des fonds marins, enlèvement des algues sargasses, fleurissement des villes, collectes alimentaires, aides aux personnes âgés, soutiens scolaires…
Budget de fonctionnement :
Sur la base d’un budget moyen de fonctionnement d’environ 40.000€/stagiaire/an (coût RSMA 2013), soit 10.000 € par trimestre, le budget annuel du programme TMS serait de l’ordre de 53 Millions d’euro pour la Martinique (10.000 € X 5.300 stagiaires)
En résumé, les TMS apporteraient une réponse concrète à chaque jeune martiniquais, en lui offrant une expérience forte de vie partagée et d’engagement citoyen au service de l’intérêt général, tout en redonnant de l’oxygène au monde associatif local. Ils permettraient d’abattre les cloisons entre communautés, de redonner de la fierté aux « laissés pour compte » et de réveiller l’esprit de solidarité, de partage et de fraternité.