La presse en France s’est emparée du procès que Madame Tran To Nga fait à la vingtaine de sociétés responsables de la fabrication de l’agent orange, utilisé abondamment par l’armée américaine au Vietnam dans la guerre qui l’opposait à l’Etat de ce pays.
Chez nous, c’est un aéropage d’élus – et pas des moindres – derrière (?) Alfred Marie-Jeanne qui interpelle le Président de la République sur cette affaire de la Chlordécone et d’une décision de justice dont on prédit – sur quelles bases ? – qu’elle sera négative pour les plaignants. Un chœur de pleureuses, alors que le CNCP, s’étonne que depuis 15 ans on n’ait pas avancé.
D’où peut bien nous venir cette impression de récupération politique ? De déjà vu ? Pourquoi aussi cette impression de bataille mal embouchée ? Décidément l’annonce d’élection pour juin 2021 semble tourner dans tous les sens la tête de beaucoup d’élus !
Une lutte qui ne peut qu’intéresser la Martinique
La Martinique mériterait de suivre avec attention ce qui se passe en France et à l’extérieur au lieu de se focaliser sur son seul nombril. Cela nous apprendrait beaucoup, notamment en ce qui concerne les batailles pour bannir l’utilisation des pesticides, et les très nombreux produits chimiques qui envahissent notre quotidien et dont la nocivité devient de mieux en mieux connue.
Avec le record mondial de cancers de la prostate, qui n’exclut ni les poumons, ni les seins, ni le colon et bien d’autres organes vitaux, il semble bien que ce record mondial de décès liés aux cancers, soit induit en majeure partie par la chlordécone, interdite rapidement aux Etats Unis mais diffusée de par le monde, en France et de facto, aux Antilles.
Pour autant si nous avons, nous, en tant que citoyens martiniquais – et je parle au nom de l’ensemble de la population et de ce qu’elle pense – la certitude que nos cancers sont la conséquence de la Chlordécone, une certitude ne sert à rien si nous ne pouvons l’étayer et la prouver ; et ce n’est pas aussi évident que ce que nous pourrions imaginer.
Une lutte qu’il faut bien penser et peser pour qu’elle porte ses fruits.
Qui peut, en effet arriver à déterminer avec certitude l’impact de la chlordécone, et celui des autres pesticides qui empoisonnent les insectes, tuant notre équilibre biologique ? Aller à la bataille comme certaines associations le font aujourd’hui en justice est bien, je me garderais de dire le contraire.
Mais cela risque de rester un galop d’honneur. Il nous faut attendre sans doute que les esprits fassent encore leur chemin dans la conscience politique en France et dans le monde – sans pour autant écarter les acteurs du tourisme et les investisseurs dans notre île – et que la science puisse déterminer par l’examen des personnes décédées ou atteintes de cancers, la part de cellules contenant de la chlordécone en pourcentage par rapport aux autres composants dans lesdites cellules. C’est un préalable… Et rien ne nous dit que cet examen plaidera pour un éco-crime à la Chlordécone !
L’Etat veut bien indemniser les ouvriers agricoles de la banane qui ont baigné – on peut le dire, sans la moindre note d’humour ! – dans la chlordécone, mais il se refuse à faire un amalgame incluant dans le « blo » tous les décès dus notamment aux cancers prostatiques dans l’île.
Certes, les intérêts en face sont nombreux ; mais encore nous faut-il bien appréhender le problème. Posons les actes sans désespérer et cessons de méjuger des juges qu’on accuse toujours de toutes les trahisons, parce qu’ils seraient vendus aux pouvoirs puisqu’ils ne font pas ce que nous voulons qu’ils fassent. On peut en trouver sans doute certains de peu recommandables, puisqu’aucune profession ne peut se targuer d’avoir plus d’honnêtes gens qu’une autre, mais de là à imaginer que la magistrature concentre un profil spécifique de duplicité et de soumission au pouvoir en place, ne tient pas, bien au contraire.
En effet qui est responsable, qui est victime, et que réclamer
Contrairement au procès contre les fabricants et distributeurs en toute connaissance de cause quant à la dangerosité de l’Agent Orange, un procès contre la chlordécone mettrait certes en cause l’Etat, mais aussi des hommes politiques en France et en Martinique, les grands planteurs et industriels ou commerçants qui ont souhaité pouvoir continuer à utiliser la chlordécone, les industriels et/ou commerçants qui ont repris les brevets pour continuer à approvisionner les planteurs et les ouvriers agricoles victimes d’une longue chaîne.
Certains hommes politiques martiniquais ont plaidé pour le maintien d’une autorisation d’utilisation de la chlordécone aux côtés des planteurs dont beaucoup étaient des békés. Et on sait bien que sans chlordécone, cela aurait été tout le secteur de la banane et toute la chaîne d’emploi qui se serait effondrés.
Dans un pays au niveau de vie alors déjà bien bas, pouvait-on se le permettre ? C’est tout le problème du prix d’une vie – rappelons-nous le sang contaminé et le « responsable, pas coupable » de Georgina Dufoix… Et puis, après tout, le pouvoir parisien aurait beau jeu de rappeler que c’est à notre demande qu’il a prolongé l’autorisation d’utiliser la chlordécone.
Ensuite, le nombre de cancer de la prostate souligne une exposition particulière à des produits cancérogènes. Lesquels ont tué ? Après tout, seul 22% de notre territoire est pollué à la chlordécone : la cartographie de la pollution et de son degré d’intensité selon les lieux existe et est diffusée. On sait que la profondeur de la chlordécone étant à 1,50m de profondeur, des végétaux aux racines peu profondes peuvent être plantés.
Réclamer réparation de nous-mêmes sans changer de politique ?
On le voit, la détermination de la responsabilité si elle pointe des institutions et des individus, aura du mal à déterminer le degré de responsabilité et sa part dans les décès observés tout comme la part dans ces décès de ce qui est dû à la chlordécone et ce qui ne lui serait pas dû. Il reste cependant qu’il y a indubitablement des victimes et qu’il y aura encore des victimes. On peut considérer comme acquise la reconnaissance de la chlordécone pour les ouvriers agricoles ayant travaillé dans la banane et manipulé et respiré le pesticide. Tous curieusement ne semblent pas morts alors que des urbains le sont. Cela est loin d’être satisfaisant ! Car il reste tous ceux qui n’étaient pas ouvriers agricoles et dont on peut penser qu’ils ont été empoisonnés par l’eau et les aliments. Comment le savoir si l’on ne peut tester la population à grande échelle.
Reste les réparations. Peut-on véritablement les déterminer ? Et cela a-t-il actuellement un sens ? La catastrophe de Tchernobyl a-t-elle donné lieu à des indemnisations pour les familles dont les enfants, atteints de leucémie, en sont morts directement ou indirectement ? Que dire des sargasses ? de l’amiante dans les bâtiments publics, écoles, collèges et lycée, aux impôts de Cluny, et ailleurs…
En conclusion : un problème biaisé par la mauvaise foi doublée sans doute d’incompétence
Une fois de plus, on s’aperçoit que le problème est biaisé. On n’a guère entendu nos élus se précipiter pour réellement prendre le problème à bras le corps. Il faut que les élections arrivent pour les voir se dresser, comme un seul homme, pour mettre la France et sa justice en accusation, et, une fois de plus se victimiser en pointant la main vers les pseudo responsables… et en oubliant tous les élus martiniquais de l’époque (parlementaires et bien d’autres…).
La mise en évidence d’une proportion de cancers supérieure dans le Sud de l’île que dans le Nord pourtant largement plus impactée par la chlordécone, a révélé l’usage intensif de désherbants et de pesticides autres que la chlordécone, transportée par l’eau dite potable.
Dès lors, il semble que le procès de la Chlordécone ne saurait se suffire à lui tout seul. Il faut au moins le prendre sous deux angles : le premier concerne, directement, l’impact global des pesticides sur notre santé, et indirectement l’action des perturbateurs endocriniens qu’ils contiennent quant à la chute vertigineuse des naissances dans notre île.
Dire cela ne suffit pas. Il convient avant tout de regarder l’avenir. Quelles mesures prendre pour dépolluer, remplacer les pesticides pour protéger notre nourriture, notre eau, supprimer définitivement l’amiante dans nos bâtiments, supprimer les entrées en contrebande de pesticides interdits et évidemment, leur emploi ?… C’est de l’écologie et des mesures à mettre en place dont nous devons parler comme le préconisent Renaissance Martinique et certains de ses membres depuis longtemps.
Chacun voit bien que la question n’est plus à poser sur un seul plan juridique pour une seule contamination. Il faudra bien s’asseoir ensemble, poser nos priorités – Contrairement à certains qui veulent les confisquer pour installer un pouvoir dictatorial sans pour autant construire une Martinique véritablement écologique.
Faire renaitre notre île, voilà l’objectif, l’horizon ! Loin des polémiques qui divisent, des simulacres de prises en compte des problèmes que l’on connaît depuis longtemps et pour lesquels on n’a rien fait mais qui servent de prétexte pour indigner une population que l’on croit toujours aussi naïve pour se faire élire ou réélire.
Yvon JOSEPH-HENRI, membre de Renaissance Martinique, Président de l’Association des Consommateurs et des Citoyens de la Martinique
(une seconde partie de cet article sera publiée très prochainement)