LE COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE #4 SUR LE PARTENARIAT ENTRE LA MARTINIQUE ET L’EUROPE

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La quatrième Table Ronde de la Renaissance s’est tenue lundi 28 novembre 2022 au siège du Crédit Agricole Martinique-Guyane, en présence de l’eurodéputé Max ORVILLE, de l’ancien eurodéputé Jean CRUSOL et du délégué général d’Eurodom Benoit LOMBRIERE.  Le thème : Comment améliorer le partenariat entre l’Europe et la Martinique ? La rencontre était une nouvelle fois animée avec talent par Serge THALY. En voici le compte rendu :

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INTRODUCTION

L’Union européenne (UE) est composée de sept institutions : le Parlement européen (705 députés élus au suffrage universel), le Conseil européen qui réunit les chefs d’État des 27 pays membres, la Commission européenne (organe exécutif), le Conseil des ministres des États membres, la Cour de justice, la Cour des Comptes et la Banque centrale européenne.

capture decran 2022 12 01 a 16 36 35En savoir plus : https://www.touteleurope.eu

Jean CRUSOL, député européen de 1988 à 1989

Les fonds européens sont l’un des éléments essentiels que l’Union Européenne met à la disposition des régions. La Martinique en a tiré des avantages, d’autant plus que ce que l’on appelle aujourd’hui les régions ultrapériphériques (RUP) bénéficient de fonds supplémentaires pour prendre en compte leur éloignement et leurs spécificités. La Cour des Comptes a étudié, il y a peu, tous les projets qui ont pu être réalisés grâce à l’UE. Son diagnostic est fort  instructif. Pourtant, à l’époque, la question de l’appartenance à l’Europe a généré beaucoup de scepticisme et d’inquiétude, comme l’a montré la chanson Voici le Loup, de Djo Dézormo.

Les financements mis à disposition des RUP

Ils sont renouvelés tous les 7 ans. Nous entrons dans la période 2021-2027. Il est intéressant de se pencher sur la façon dont nous les avons utilisés jusqu’à présent et, surtout, sur la façon dont il faudrait utiliser les nouveaux budgets pour en tirer un meilleur parti.

Les fonds structurels et d’investissements sont les éléments majeurs du système : FEDER (projets territoriaux), FSE – Fonds social européen (formation), FEADER (développement rural) et le FEAMP (pêche), qui devient le FEAMPA avec l’adjonction de l’aquaculture. Au cours des deux derniers exercices, la Martinique a amélioré sa capacité à consommer les fonds disponibles. Même si on doit déplorer la constitution de « réserves financières » qui favorise une certaine opacité dans leur utilisation. Ce qui conduit la Cour des Comptes à en demander l’élimination dans le prochain programme.

Un chiffre à retenir : 20% de tous les financements touchés par la France au titre de l’UE arrivent dans les Outre-Mer alors même qu’ils ne représentent que 3% de la population française.

Mieux utiliser les fonds européens

Il ne s’agit pas seulement de recevoir des fonds, il faut savoir les utiliser le plus intelligemment possible, et les consommer entièrement. Les fonds européens ne sont pas utilisés en totalité. Aujourd’hui le FSE est consommé à 57%. La pandémie y est sans doute pour quelque chose.

Lorsque l’on compare la façon dont les différents RUP utilisent ces fonds, on constate que certaines régions ont fait des choix plus audacieux que la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. C’est le cas de la Réunion avec le grand projet du basculement des eaux de pluie (1 milliard d’euros de travaux). Quelques 100 millions de m3 d’eau ont ainsi été réorientés d’est en ouest. C’est aussi le cas de Madère avec la construction de sept téléphériques… Ces projets allient audace, technologie et modernité.

Les fonds européens peuvent soutenir le développement des entreprises. En Martinique, on dénombre 43.000 entreprises dynamiques et résilientes mais 97% sont des TPE ce qui pose un certain nombre de problèmes pour l’accès aux fonds européens :

  • Leur trésorerie est limitée, or les fonds européens doivent être préfinancés puisqu’ils sont réglés sur la présentation des factures acquittées. Les projets importants ne concernent donc que les grosses entreprises
  • Les chambres consulaires pourraient servir de relais, la Chambre des Métiers et de l’Artisanat (CMA) par exemple. Mais la CMA de Martinique connaît des difficultés et ne parvient pas à payer à temps ses charges sociales et cotisations

Les autres fonds

Il existe d’autres fonds, “à guichet ouvert”, c’est-à-dire mobilisables par tout porteur de projets, comme Erasmus+. Ce programme est dédié au développement de la formation, des échanges et de la coopération avec les autres pays européens. Il porte sur des projets d’échanges artisanaux, commerciaux, artistiques et patrimoniaux. Il est ouvert à tous (écoles, entreprises, associations…) et peut déboucher sur des accords commerciaux ou des joints ventures. Or, en Martinique, il est très peu utilisé car limité à l’apprentissage des langues étrangères pour les jeunes. Il mériterait d’être mieux mobilisé.

Benoît LOMBRIÈRE, délégué général adjoint d’Eurodom

Eurodom est une association fondée en 1989 par Gérard Bally et qui emploie 15 personnes. Elle assure une mission de lobbying et défend la production économique des Dom à Bruxelles et à Paris. Elle sensibilise les acteurs politiques et européens, veille à ce que la France, l’Espagne et le Portugal soient en accord sur les dossiers à défendre. La plupart des dispositifs existants aujourd’hui ont été co-construits avec l’Eurodom.

L’UE, un effet levier pour la Martinique

L’UE est partout en Martinique : ports, aéroport, routes, agriculture, entreprises, etc. Pour la période 2021-2027, les fonds représentent les montants suivants :

  • FEDER : 500 M€
  • FSE : 125 M€
  • Feader : 130M€

À travers l’octroi de mer, l’UE finance le développement des entreprises en compensant les handicaps structurels auxquels les Outre-Mer sont confrontés. Elle s’assure qu’il y a une concurrence aussi égale que possible entre les produits importés et ceux produits en Martinique en taxant plus fortement les importations. Dans l’agriculture, le dispositif du POSEI soutient la production agricole locale.

Il y a beaucoup d’argent pour les RUP françaises car il y a de réels besoins. Mais certaines régions européennes sont encore plus défavorisées que la Martinique et pourtant reçoivent moins d’argent.

Comment défendre un dossier à Bruxelles ?

Aujourd’hui, il y a des régions européennes en plus grande difficulté que la Martinique. De plus, les problématiques ultramarines sont moins au cœur des préoccupations. Il faut donc des demandes très formalisées avec des dossiers très techniques, chiffrés, des études d’économistes. La différence entre Bruxelles et Paris est qu’il y a moins d’ego et moins d’idéologie. L’avantage est que si le dossier est bon et la demande légitime, le fonctionnaire européen acceptera de se laisser convaincre, et même de changer d’avis.

Max ORVILLE, député européen

Sur 705 membres, il n’y a que neuf eurodéputés représentant les RUP au Parlement européen, soit à peine plus de 1% du total. En revanche, l’aspect positif est qu’ils sont extrêmement solidaires. De manière générale, les eurodéputés entretiennent la culture du compromis et du respect, et c’est fondamental car sinon ils ne pourraient rien faire. Il faut noter que le Parlement n’a pas de véritable pouvoir législatif.

L’action des eurodéputés des RUP

Les députés européens sont intervenus pour protéger les RUP des effets néfastes de certaines lois liées aux questions environnementales, et ce sur deux dossiers importants. Ils ont obtenu, par amendement, les dérogations nécessaires pour que les ultramarins ne soient pas sanctionnés du fait de la taxe carbone sur le transport aérien et maritime. D’autre part, leur intervention a permis de sauver l’autonomie énergétique de la Guyane et la filière bois qui est le 2ème employeur du privé dans ce département.

Les 15 et 16 novembre 2022, à la demande de Serge Letchimy, s’est tenue la Conférence des présidents de RUP qui s’est réunie pour la première fois à Bruxelles au Parlement. Ces deux jours d’échanges avec les ministres, commissaires et députés européens ont été un succès et ont apporté une réelle visibilité aux territoires.

Les difficultés

Il n’existe à Bruxelles ni rejet ni volonté de nuire à l’égard des RUP mais une grande méconnaissance des territoires ultramarins. De plus, les traités européens (art. 349 du traité de Lisbonne) supposent que la Commission tienne compte des spécificités des territoires, or ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui. La conséquence est que les eurodéputés ultramarins passent beaucoup de temps à proposer des amendements et des correctifs à des lois qui, souvent, ne sont pas adaptées aux contextes des RUP. L’idéal serait de pouvoir agir en amont. Cette question a été largement débattue lors de la conférence.

Max Orville a fait une proposition pour que cet article 349 soit précisé dans ses champs d’application. Au cours du 1er trimestre 2023, il invitera les eurodéputés, les parlementaires des RUP, les présidents des associations des maires et les exécutifs locaux à travailler à ce chantier.

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LES PRÉCONISATIONS POUR AMÉLIORER LE PARTENARIAT ENTRE LA MARTINIQUE ET L’EUROPE

  • Faire venir les décideurs de Bruxelles et Paris pour qu’ils connaissent mieux les réalités de nos territoires : c’est l’objet de la conférence organisée par Max Orville, et qui se tiendra en juin en Martinique. Trois thématiques ont été retenues : éducation, environnement, emploi. Il ne s’agit pas seulement de montrer nos difficultés mais aussi nos réussites et nos talents.
  • Éviter de détruire ce qui fonctionne, comme l’octroi de mer. Il y a certes des améliorations à apporter mais c’est un dispositif qui joue un rôle important pour l’économie locale donc il faut être vigilant.
  • Accompagner les territoires de conquête, les nouveaux secteurs : formation des jeunes, tourisme, valorisation des déchets…
  • Avoir des projets concrets, une véritable feuille de route pour la Martinique pour les années à venir, savoir où l’on veut aller.
  • Augmenter l’ingénierie locale pour monter les dossiers et suppléer au manque de moyens des petits acteurs.
  • Créer une zone franche sociale intermédiaire et globale (Max Orville rédige une note à cet effet pour le Ministre des Outre-Mer).
  • Améliorer le mécanisme des fonds européens pour le rendre accessible aux PME.
  • Permettre aux TPE et PME martiniquaises d’avoir accès aux fonds européens : donner des moyens financiers et humains à la CMA et mettre en place des services partagés dans des parcs artisanaux ou industriels pour décharger les dirigeants des formalités administratives.
  • Optimiser notre appartenance à l’Europe : que le programme d’orientation 2021-2027 soit utilisé davantage sur des structurations véritablement innovantes, permette de faire émerger de nouveaux talents et que la jeunesse s’empare de l’idée européenne.
  • Explorer tous les dispositifs et fonds existants comme le fonds Jérémie.
  • Céder la gestion de la totalité des fonds européens aux instances régionales.
  • L’union c’est la force : à Bruxelles, la Martinique existe peu. Pour se faire entendre, il faut peser et pour cela, les RUP doivent s’unir, venir avec une plateforme unique de revendications. Ce qui unit les Dom est plus important que ce qui les sépare.
  • Mieux informer sur le rôle de l’UE et des eurodéputés. Une Maison de l’Europe est en train de se mettre en place. Sa mission sera de diffuser l’information et d’accompagner les chefs d’entreprise pour une meilleure connaissance des dispositifs européens. Max Orville s’engage, sur son site internet (maxorville.eu) à répondre à toute question de chef d’entreprise sur les fonds dans un délai de 72h.
  • Apaiser les relations avec la République et avec l’Europe, pour ne pas perdre en crédibilité.