LE COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE #5 SUR LA TRANSITION ECOLOGIQUE

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La cinquième Table Ronde de la Renaissance s’est tenue jeudi 15 décembre 2022 au siège du Crédit Agricole Martinique-Guyane, en présence de Daniel CHOMET, Yvon PAQUIT et Stéphane ABRAMOVICI. C’était la dernière rencontre de l’année, animée une fois de plus avec talent par Serge THALY. Le thème : Comment accélérer la transition écologique en Martinique ? En voici le compte rendu :

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INTRODUCTION

Selon le site du gouvernement, la transition écologique est une évolution vers un nouveau modèle économique et social. Un modèle de développement durable qui renouvelle nos façons de consommer, de produire, de travailler et de vivre ensemble afin de répondre aux grands enjeux environnementaux : le changement climatique, la rareté des ressources, la perte accélérée de la biodiversité et la multiplication des risques sanitaires environnementaux.

Yvon PAQUIT

Yvon Paquit est président d’Odyssi, vice-président de la Cacem et premier adjoint au maire de Fort-de-France. L’objectif final de l’écologie est de laisser notre planète dans le meilleur état possible aux générations futures. Il y a deux problématiques majeures en Martinique : l’eau et les déchets. Yvon Paquit propose de faire un focus sur la question des déchets.

Un enjeu de territoire

La mauvaise gestion des déchets a un impact immédiat sur la santé des populations. Jusque dans les années 1960, il y avait beaucoup de décès dus à la qualité de l’eau et aux cas de choléra.

La mauvaise gestion des déchets a aussi un impact sur le développement économique et l’attractivité du territoire car elle ne donne ni envie de s’installer ni envie d’investir.

Pour rappel, les instances en charge des déchets sont la Deal, l’État, et les trois communautés d’agglomération, Cap Nord, l’Espace Sud et la Cacem. Le premier acte d’une politique des déchets en Martinique fut la construction de l’usine d’incinération de Dillon. C’est cette décision qui a rendu possible la création de la Cacem en 2004.

L’historique

En 1998, les quatre maires du Centre (Aimé Césaire, Alfred Almont, Raymond Saffache et Pierre Samot) se sont unis pour trouver une solution à la problématique des déchets. Il existe trois méthodes de traitement : l’enfouissement (or nous sommes sur une île), la méthanisation (qui dégage un gaz inflammable) et l’incinération. Ils ont décidé de retenir les trois procédés pour traiter les 300.000 tonnes de déchets produits chaque année en Martinique : 112.000 tonnes pour l’usine d’incinération, 50.000 pour la méthanisation et 100.000 pour l’enfouissement. Conscients des enjeux futurs, l’usine a été construite de façon à accueillir trois lignes de traitement, chacune pouvant traiter 100.000 tonnes de déchets. Seule une ligne a été mise en place à ce jour. Ce projet phare était loin de faire l’unanimité en raison de la dioxine, ce gaz issu de l’incinération des ordures.

Quel bilan ?

L’usine d’incinération traite bien 100.000 tonnes par an et le niveau de dioxine observé est dix fois inférieur à la norme européenne. Elle ne produit aucun rejet gazeux, liquide ou solide. Pour cela, il faut laver la fumée et cette opération coûte beaucoup plus cher que la combustion même des ordures. Le panache qui sort de la cheminée et qui est visible depuis la route est de la vapeur d’eau. L’usine a déjà dépassé ses capacités et l’installation d’une deuxième ligne coûterait 50 millions €. Elle produit 30.000 tonnes de mâchefer (résidu de la combustion) par an, non valorisées.

La méthanisation a échoué car on ne peut pas collecter les déchets fermentescibles en raison du climat tropical, et les tonnages sont limités. De plus, on ne récupère pas le gaz produit par la méthanisation alors même que c’est une énergie renouvelable non fossile.

Il a fallu des années pour trouver un terrain pour l’enfouissement car il existe des normes précises et contraignantes. Seuls deux sites le permettaient, Céron (Sainte-Luce) et Petit Galion (Robert). Le Maire du Robert a accepté. Le site a une durée de vie de 25 à 30 ans maximum à condition de n’y mettre que des déchets ultimes donc non-valorisables. Mais, pour ce faire, il fallait d’abord trier les déchets… ce qui n’est pas le cas. Le trou se remplit à grande vitesse et il sera plein dans 5 ans.

Les problèmes non résolus

Les déchets industriels, les déchets dangereux, les boues de stations d’épuration ne sont pas traités. En conclusion : beaucoup de questions restent irrésolues.

Stéphane ABRAMOVICI

Stéphane Abramovici est président de l’association Entreprises & Environnement. Créée en 1994, elle regroupe 80 entreprises martiniquaises adhérentes, et emploie huit salariés. Elle privilégie la mise en valeur de l’action plutôt que la mise en avant des adhérents car le but n’est pas de faire de la communication d’entreprise ni du greenwashing.

L’environnement au cœur des actions

Entreprises & Environnement s’est longtemps investie dans l’entretien des bords de route et des ronds-points. L’opération Pays propre est l’une de ses actions phares : deux fois par an, pendant trois jours, des centaines de salariés volontaires nettoient les sites remarquables communiqués par l’ONF. À chaque édition, ce sont entre 10 et 20 tonnes de déchets qui sont collectées. Le succès de Pays propre a poussé l’association à l’ouvrir à d’autres personnes que les salariés des adhérents. La dernière opération a mobilisé 2.000 personnes sur 21 sites.

Ces deux dernières années, deux nouvelles opérations ont été lancées : Kay pwop et Pays vert. La première est financée par des éco-organismes et consiste en l’installation de déchetteries éphémères dans les communes. Pays vert est un programme de replantation d’arbres qui s’inscrit dans le cadre des engagements RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Il s’agit de mettre en lien des entreprises mécènes et des porteurs de projets (agroforesterie, reboisement d’espaces naturels).

Entreprises & Environnement assure deux autres missions. Elle gère, depuis 15 ans, les filières REP (responsabilité élargie du producteur) qui sont des dispositifs fonctionnant sur le principe pollueur payeur : l’entreprise est responsable de la fin de vie des produits qu’elle vend et se doit de régler une éco-taxe. En Martinique, sept éco-organismes sont chargés de collecter l’éco-participation afin de mettre en place le retraitement des déchets concernés. L’association développe aussi l’EIT (écologie industrielle territoriale) dont le but est de créer des synergies inter-entreprises pour gérer et recycler les déchets, mutualiser le personnel et les entrepôts etc.

Déchets : il est déjà trop tard

Sur la problématique des déchets, le point de non-retour a été dépassé en Martinique. Il est déjà trop tard. La population diminue mais la production de déchets augmente par tête d’habitant, et l’île accuse un retard considérable sur les infrastructures de traitement.

La conséquence est que beaucoup de déchets se retrouvent dans la nature, et de nouvelles décharges sauvages se créent. Étant sur un territoire insulaire, on peut déjà prédire que certains déchets seront expédiés, mais ils seront surtout entassés, stockés de ci de là…. En attendant les infrastructures.

Daniel CHOMET

Daniel Chomet est enseignant en physique-chimie, chef de file de Schoelcher dynamique et solidaire, militant écologiste, ancien président du parc naturel régional de la Martinique et du Comité de bassin.

La mobilité durable n’a pas encore été pensée en Martinique. L’état de la circulation est une aberration environnementale et économique, une aberration en termes de qualité de vie et de bien-être.

Des atouts non exploités

La Martinique dispose d’extraordinaires marges de croissance verte et bleue et qui sont une partie de la solution pour créer de la richesse pour le territoire, et développer une croissance vertueuse. Avec la mer, le vent, le soleil l’île a d’indéniables atouts pour la transition énergétique, or elle a seulement 25% d’énergies renouvelables dans son mix énergétique. La Martinique fait partie des 34 hotspots de biodiversité du monde. Qu’en fait-on ?

Déchets, une situation catastrophique

Depuis 22 ans, tous les documents préconisent une 3ème ligne d’incinération, et ce n’est pas fait. La Réunion a réussi à résoudre une partie de son problème de déchets et notamment l’enfouissement avec une usine de près de 330 millions € qui ne coûte rien aux Réunionnais. En Martinique, non seulement on ne trie pas avant d’enfouir mais, en plus, on ne compacte pas ce que l’on enfouit, réduisant la durée de vie du site. Le retard pris est considérable. Quand, en 2008, la réglementation européenne s’est orientée vers l’interdiction de l’enfouissement, la Martinique a dû bénéficier de dérogations pour continuer à enfouir ses déchets, mais ce n’est plus subventionnable avec des fonds publics. Le risque est que nous retournions 50 ans en arrière en matière de gestion des déchets. Cela montre l’échec de conduite des politiques publiques. Pour 20 millions d’euros d’investissement, la Martinique dispose d’un “méthaniseur qui ne méthanise pas et qui ne fait que du compost”.

Expérimenter

En matière de déchets, la Martinique doit se saisir de la possibilité d’expérimenter, de trouver ses propres solutions. Les outils ne sont pas toujours adaptés au contexte local. Les fonds européens, par exemple, sont pensés de manière sectorielle et les processus de financement sont verticaux. Il faudrait les adapter à notre contexte.

Il faut 3 choses :

  • Retrouver du volontarisme sincère dans les choix en faveur d’une transition écologique
  • Simplifier les outils de la gouvernance pour plus de cohérence
  • Sortir de la culture du chef, accepter le débat et la contradiction

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PRÉCONISATIONS DES INTERVENANTS ET DE LA SALLE

  • Mettre fin au “tout automobile”. Le parc de voitures a été multiplié par trois, générant de la pollution, des problèmes de santé, un coût économique de plus en plus élevé, un obstacle à l’intégration dans le monde du travail pour les jeunes et les personnes modestes et un coût en termes de qualité de vie que les Martiniquais supportent de moins en moins.
  • Mettre en place une vraie politique de mobilité durable avec un Plan vélo, et développer les pistes cyclables protégées. Équiper nos 350 km de routes nationales de pistes cyclables coûterait 90 millions €, ce qui est parfaitement absorbable. De plus, cela favoriserait l’adoption de comportements nouveaux, et stimulerait de nouvelles activités économiques pourvoyeuses d’emplois.
  • Faciliter la pratique du vélo à assistance électrique pour encourager les Martiniquais à abandonner l’usage systématique de la voiture. En effet, le vélo traditionnel est moins adapté à notre contexte climatique et topographique.
  • Créer un équipement routier multimodal où toutes les formes de mobilités de demain pourraient cohabiter, une grande dorsale qui irait du Sud vers le Nord pour décongestionner le territoire. Un tel projet a déjà été expérimenté à la Réunion, c’est la route des Tamarins (1,3 milliards €) et cela a redimensionné l’île dans toutes ses aspects, y compris écologiques.
  • Développer la concertation sur la question des mobilités et s’interroger sur ce que les Martiniquais veulent avant de créer des infrastructures coûteuses.
  • Faciliter la mise en fourrière et la prise en charge des véhicules hors d’usage.
  • Sensibiliser les nouvelles générations, éduquer et rééduquer à la nécessité de valoriser, réutiliser, recycler les déchets. Ce qui suppose une réelle mobilisation du rectorat et des institutions. Transformer le déchet en matière première fait disparaître le déchet comme l’a montré Gunter Pauli dans son concept “d’économie bleue”.
  • Indice de réparabilité : mettre en place des sanctions contre les industriels qui ne le respectent pas. De plus, la réparabilité crée de l’activité économique. Question : existe-t-il des modèles pertinents chez nos voisins caribéens susceptibles de nous inspirer ?
  • Lutter contre les déchets : faire de l’octroi de mer un outil punitif. Taxer les biens de consommation qui produisent trop de déchets comme certains biens alimentaires emballés trois ou quatre fois. Cela pousserait les industriels à faire des efforts.
  • Instaurer un bonus-malus sur le tri des déchets. Aujourd’hui, certains foyers font l’effort, d’autres pas. Or tout le monde paie la même taxe. Celui qui crée plus de déchets doit payer une taxe sur les ordures ménagères. Cela ferait bouger les lignes sur le volume de déchets à traiter.
  • Appliquer les lois environnementales comme celle contre les dépôts sauvages. Il est temps maintenant de passer à la coercition et à la sanction.
  • Autre rappel à la loi : au moment de la livraison, les distributeurs ont l’obligation de reprendre les vieux appareils électroménagers gratuitement. Ils ne doivent pas faire payer le consommateur qui, de surcroît, a déjà payé l’éco-participation