REPARATIONS ? UN AUTRE COMBAT DOUTEUX !

Maurice-Laouchez

 

L’effondrement du mur de Berlin, en novembre 1989, a fait d’innombrables orphelins idéologiques. Cet effondrement symbolisait l’échec du combat marxiste et de ses « lendemains qui chantent ».

Ces orphelins ont alors ouvert deux autres fronts : l’anti-mondialisme et les réparations.

D’un côté, ils ont inventé « l’anti-mondialisme », devenu ensuite alter-mondialisme : « un autre monde est possible ». Sans aucun doute le libéralisme est plein de défauts, qui doivent être corrigés ; mais on attend toujours les contours de cet « autre monde » idéal qui doit le remplacer. Un autre combat perdu.

Les mêmes orphelins idéologiques ont, d’un autre côté, particulièrement dans les pays autrefois colonisés, ouvert un deuxième front : « La réparation ».

A leurs yeux, sous une forme ou sous une autre, il est indispensable que les anciens pays colonisateurs s’excusent des crimes commis, et procurent aux ex-colonisés, sous des formes jusqu’ici floues, des réparations d’ordre matériel.

UNE HISTOIRE PROTÉIFORME MAL RACONTÉE

Or, l’histoire de notre planète est largement l’histoire de colonisations multiples, commencées par l’Homo Sapiens parti d’Afrique peupler le monde entier.

On mesure déjà là l’une des dimensions-clés du débat : quel peuple n’a jamais colonisé ? Quel territoire n’a jamais été colonisé, c’est-à-dire occupé par des gens venus d’ailleurs ? Mais il ne serait pas honnête de s’en tenir là.

Les colonisations des cinq cents dernières années ont non seulement conduit à des actions d’une barbarie totale, mais aussi laissé des traces profondes. Ces traces subsistent dans les esprits, dans les corps et dans les sociétés des uns et des autres, sous forme, notamment, de complexes, d’inégalités profondes et de racisme.

Deux questions se posent alors si on envisage des réparations de toutes ces traces du passé.

D’abord, historiquement, quelle communauté porte assez de responsabilités majeures, uniques, supérieures aux autres, pour que les autres soient légitimes à lui demander réparation ?

La « Loi Taubira », ne qualifie de crimes contre l’humanité que « la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’Océan indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVème siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’Océan indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes ».

Elle laisse ostensiblement de côté la traite intra-européenne, la traite trans-saharienne, la traite intra-africaine, la traite trans-méditerranéenne, sans parler des traites asiatiques. Or ces traites et ces esclavages ont fait des ravages bien avant et bien après le XVème siècle, ravages qui sont également, sauf erreur, des crimes contre l’humanité. Avec à la clé des pratiques de castration aux taux de mortalité et d’invalidité dramatiques.

Les organisateurs de ces traites étaient des Païens, des Israélites, des Arabo-Musulmans, des Chrétiens, des Africains, des Asiatiques, des Indiens.

Alors même que l’Egypte ancienne des Pharaons noirs a inventé les bases mêmes des civilisations contemporaines, aucun continent n’a plus systématiquement vendu ses enfants à des étrangers que le continent africain. D’où une diaspora africaine présente sur tous les continents.

Plusieurs auteurs africains (N’Diaye, Tigori) ont publié sur ce point des recherches éloquentes.

LES LEGS DEMEURENT POUR TOUS

Mais, et c’est la deuxième question, peut-on nier que de nombreuses inégalités contemporaines proviennent, dans le monde entier, des colonisations, des traites et des esclavages des 500 dernières années ? Pas davantage !

De génération en génération, des membres de toutes ces communautés ont gardé de nos jours, et souvent amplifié, les richesses construites par leurs ancêtres grâce à ce commerce.

Si on doit demander excuses et réparation sans se livrer à de nouvelles iniquités, c’est à toutes ces communautés qu’il faut s’adresser. Qui est prêt à livrer cette bataille ?

Il s’agit là non seulement d’inégalités matérielles, mais de comportements sociaux qu’on peut résumer, pour s’en tenir à l’essentiel, en un mot : le racisme.

Sans nier les talents d’un certain nombre de descendants de colons de toutes couleurs, naître propriétaire de milliers d’hectares, ou d’actions au capital d’entreprises prospères, ou d’immeubles, ou de puits de pétrole : cela facilite le succès et le bonheur. Les droits de succession sont là, dans certains pays dont la France, pour « raboter » les héritages, pas pour les supprimer.

Sans nier non plus les multiples errements d’un certain nombre de dirigeants de toutes origines, naître avec la peau blanche procure encore de nos jours ce « privilège blanc » dont les Blancs ne sont pas toujours conscients, mais dont d’innombrables non-Blancs sont victimes tous les jours.

Se pose encore le problème de savoir si les vivants, riches ou pauvres, Noirs, Blancs ou Jaunes, ont des comptes à rendre pour ce que leurs ancêtres ont pu faire ou ne pas faire.

Autre question : la traite et l’esclavage sont-elles les seules causes des inégalités actuelles entre les hommes ? Evidemment non.

Hors les patrimoines génétiques et familiaux, les guerres, la place du travail et de l’échange économique dans les différentes civilisations, la richesse des sous-sols, les climats et les cataclysmes naturels sont, parmi d’autres, des causes importantes des inégalités d’aujourd’hui.

AGIR COMMENT ?

A partir de ces constats trop souvent oubliés ou volontairement passés sous silence, deux orientations s’offrent au monde contemporain, avec des conséquences diamétralement opposées.

Si on cherche à obtenir de certaines communautés, et d’elles seulement, la réparation d’une partie du passé, on constate vite que cette voie est non seulement injuste, mais qu’elle est irréaliste et débouche automatiquement sur plus de haine et sur plus de violence.

En effet, inculquer au jeune Arabe ou au jeune Noir, quotidiennement victime de racisme, que ses ancêtres, et eux seuls, ont connu encore pire, cela donne à certains deux raisons de prendre la Kalashnikov : pour eux- mêmes, et pour venger leurs ancêtres.

Si au contraire on lui explique que ses ancêtres aussi furent peut-être auteurs, complices ou bénéficiaires des dites atrocités ; que des Juifs, des Arabes, des Noirs ont, eux aussi, acheté et vendu des êtres humains, sans que personne leur demande réparation, le dialogue peut s’ouvrir sur des bases plus sereines, sur les défis d’aujourd’hui.

S’ouvre alors la voie de la raison, de projets communs, et de nouvelles fraternités.

Personne ne peut affirmer valablement, quelle que soit la couleur de sa peau, quelle que soit la communauté dont il se réclame, qu’il n’est ni descendant d’esclave, ni descendant d’esclavagiste : parce que ce trafic fut longtemps (et reste encore parfois) consubstantiel au commerce et à la recherche d’enrichissement de membres de toutes les communautés.

Il est essentiel que ces informations soient enfin mises à la portée de chacun, car toutes les histoires officielles comportent des montagnes de mensonges, par le biais d’innombrables non-dits, qui expliquent (sans les excuser) des violences d’aujourd’hui. Il suffit pour s’en convaincre de voir les controverses soulevées par les lois mémorielles.

La résolution de décembre 2014 de l’ONU, proclamant la décennie des Afro-descendants (2015/2024) a dit ce qu’il fallait dire : reconnaissance, justice, développement. En quelque sorte : le passé, le présent et l’avenir.

Quand on sait qu’en France, dans l’indifférence générale, seulement 0,03% des délits de racisme et d’antisémitisme sont sanctionnés par les tribunaux (voir le rapport 2019 de la Commission Nationale des Droits de l’Homme) on peut penser que les combats d’aujourd’hui méritent davantage de mobilisation que les comptes qu’on veut régler avec des vivants en accusant des morts.

An nou pran konba jodi, pa konba ancèt nou !

Plus que de combats douteux sur un passé tronqué, nous avons besoin de lutter, y compris en Martinique, contre le chômage, les discriminations à l’école, dans l’emploi, le logement, la politique, la vie courante, etc… quelle que soit la couleur des auteurs de ces discriminations (pas tous blancs), et des victimes (pas toutes afro-descendantes).

Nous avons besoin de lutter pour une qualité de vie améliorée ; non pas en stigmatisant des couleurs de peau, mais en exigeant l’abandon de conservatismes d’un autre âge, dans les familles, dans de trop nombreuses entreprises et de trop nombreuses administrations.

Ces réparations là, nous pouvons et devons tous y contribuer au quotidien, et, du même balan, faire de nos origines multiples « les armes miraculeuses » de nos victoires communes de demain.

Maurice Laouchez, membre de Renaissance Martinique